Son
Scroller
Sans terre, sans droits : les creuseurs du Katanga
Le Katanga, province du sud de la République Démocratique du Congo, est une région au cœur de nombreux enjeux. La richesse de son sous-sol en minerais précieux comme le cuivre, le cobalt, le zinc, l’or, et les réserves d’uranium radioactif garantissent à la RDC 30% de son budget global, et ce, malgré le pillage des ressources et la fuite illégale des matières premières non taxées à l’étranger.
En 2014, près d’1 million de tonne d’hétérogénite, un oxyde de cobalt et de cuivre, a été extrait. Du jamais vu… Le Congo est devenu le principal producteur de cuivre en Afrique et le premier exportateur mondial de cobalt.(1) Pourtant les travailleurs de ce secteur, à l’origine de cette richesse, connaissent des conditions de travail et de vie très difficiles.
(1) www.glo-be.be/article-magazine/exploitation-miniere-congolaise-artisanat-versus-industrie/
Des hommes et du minerai
On estime que le secteur minier artisanal compte plus de 2 millions de travailleurs en RDC. Il produit 90% du minerai exporté et permet de faire vivre directement et indirectement 20% de la population congolaise (2). Le pouvoir Central de Kinshasa profite aussi de ces ressources, notamment en ne respectant pas le principe de la rétrocession des recettes perçues à la Province du Katanga.
Haut lieu de corruption, où chacun tire profit du « mining », le pillage des ressources est pratique courante au Katanga. Il suffit de voir les centaines d’immenses semi-remorques, immatriculés en Zambie, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, pour s’en rendre compte. Ils transportent des ballots de minerais bruts, qui seront transformés hors des frontières.
(2) Rachel Perks, Towards a Post-Conflict Transition: Women and Artisanal Mining in the Democratic Republic of Congo.
Ecouter le témoignage ↘
Les creuseurs artisanaux sont les principales victimes de ce pillage. Les chiffres sont éloquents. Kolwezi, «poumon de l’économie congolaise» dans les années 90, est aujourd’hui une ville marquée par la récession, le chômage et la pauvreté résultant des difficultés financières et de la mauvaise gestion de la Générale des carrières et des mines (Gécamines), société minière d’Etat.
En 2003, les licenciements massifs menés par la société (10.600 ouvriers licenciés) ont entraîné de nombreux mineurs, prêts à tout pour survivre, dans la précarité. Ce fut le boom de l’exploitation minière artisanale illégale.
Selon le gouvernorat provincial, le nombre de creuseurs artisanaux est estimé à près de 120.000 dans la région (les chiffres n’émanant pas d’un recensement précis, ils sont approximatifs et, selon certaines sources, évalués en deçà de la réalité). Un creuseur faisant vivre environ 5 personnes, ce sont près de 600.000 personnes qui dépendent de l’extraction minière artisanale autour de la ville de Kolwezi.
Ecouter le témoignage ↘
Creuseur artisanal, un filon sans protection
Centre de négoce de Musompo, Kolwezi.
Lieu d’achat des minerais extraits par les creuseurs illégaux. Un sac de matière première peut peser jusqu’à 130 kilos. Il s'agit essentiellement d'hétérogénite un oxyde de cobalt et de cuivre et autres minerais.
Chiffre d'affaire du Centre de négoce de Musompo:
370000$/jour
Village de Mutshanga, zone d’extraction minière illicite, Kolwezi, province du Katanga, RDC.
Dans cette carrière, les creuseurs récupèrent les minerais d’autres sites d’extractions, drainés par la rivière. Ils travaillent toute la journée dans l’eau, ce qui leur cause de nombreux ennuis de santé.
Village de Mutshanga, zone d’extraction minière illicite, Kolwezi, province du Katanga, RDC.
Chambre de creuseurs. En moyenne, 5 creuseurs dorment ensemble sur la même paillasse.
Zone d'exploitation minière de Mutoshi, Kolwezi, province du Katanga, RDC.
Les femmes lavent le minerais au cœur de la carrière inondée.
Le Code minier congolais autorise l’activité des creuseurs artisanaux moyennant la détention d’une carte d’exploitant artisanal et l’appartenance à une coopérative minière. Sans cette carte, les creuseurs sont obligés de se mettre sous le couvert d’une coopérative minière agréée ou de mener leur activité sur des concessions dont les droits d’exploitation ont été attribués à des sociétés privées, avec lesquelles ils doivent trouver «un accord ».
Dans les deux cas, leurs conditions de travail y sont extrêmement pénibles :
ils extraient le minerai souvent à mains nues et sans équipement de sécurité, dans des tunnels qui peuvent descendre jusqu’à 80m, sans structure sécurisée, sans circulation d’air, sans mesure d’hygiène et éclairés par le faisceau d’une lampe de poche.
Leur revenu est fonction du négociant à qui ils sont obligés de vendre et du nombre d’intermédiaires (police privée, police publique, propriétaire du puits, etc.) qui ponctionnent leurs gains. Ils vivent dans des villages de toiles (bâches) ou de sacs récupérés, sans eau, électricité ni conditions d’hygiène minimales, sous la menace constante d’être expulsés. Les creuseurs travaillent toujours en équipe de 5 à 10. Ils se relaient jour et nuit pour ne pas perdre de temps avant d’être chassés des sites qu’ils occupent illégalement.
Répartition des gains de l'exploitation minière par les creuseurs artisanaux dans le quartier résidentiel de Kasulo à Kolwezi.
Ecouter le témoignage ↘
S’organiser pour défendre ses droits
Outre le risque d’effondrements de galeries et d’éboulements, les conditions de travail et un équipement sommaire ont des effets désastreux sur la santé des creuseurs. Epuisement, inhalation de la poussière, exposition aux substances radioactives, maux de dos, maladies des yeux, crevasses, maladies dues à l'insalubrité des lieux, consommation de drogues et d’alcool qui leur permettent de braver leurs peurs (de perdre la vie, de leurs démons et croyances…) et supporter la chaleur suffocante et l’étroitesse des galeries, etc.
Vu le caractère informel de leur statut, aucune protection sociale ne leur est accordée et l'accès aux soins est quasiment impossible. Le taux de mortalité chez les creuseurs est très élevé. Papy Nsenga, président de la CODEMA (Coopérative de développement pour les mineurs artisanaux), nous explique : « Il est très difficile de nous soigner, ainsi que notre famille, c'est pour cela aussi que nous avons décidé de former des associations. En nous organisant en coopérative de creuseurs, nous espérons pouvoir cotiser à une mutuelle qui, grâce à la solidarité entre les membres de la coopérative, nous garantirait l’accès à des soins de santé».
Ecouter le témoignage
L'artisanat minier est un secteur très mouvant, les creuseurs sont nomades et travaillent de sites en sites. Dès lors, il n'est pas simple pour les creuseurs de s'organiser en associations sans avoir la garantie de retrouver son compagnon de travail dans la même carrière le lendemain matin. « L'organisation des creuseurs doit passer par le syndicat », pour Malaila Kalassa, Secrétaire Syndical de l'UNTC de Kolwezi le syndicalisme doit s'ouvrir à tous les travailleurs. « On parlera alors de syndicalisme de développement, car les travailleurs informels ou illégaux, appelez-les comme vous voulez, sont des acteurs de la société congolaise à part entière.
Le travail formel ne représente qu'un infime pourcentage de la population au Congo et encore plus dans notre province et depuis la libéralisation du secteur minier.» La police des mines, la Saesscam (Service d'Assistance et d'Encadrement du Small Scale Mining) ou encore l’Agence nationale de renseignements, censés soutenir les creuseurs et faire respecter leurs droits, sont surtout accusés de les racketter, et d’alimenter une chaîne de corruption surnommée “le rapport”, qui remonte jusqu’aux sommets de la hiérarchie de ces fonctionnaires sous-payés.(3)
Ecouter le témoignage
Kasulo : un quartier victime de la ruée
Depuis juin 2014, des centaines de creuseurs artisanaux ont envahi le quartier résidentiel de Kasulo à Kolwezi, où les propriétaires de ce quartier leur accordent l’autorisation d’exploiter leur concession (parcelle habitée), en échange de 40 à 50% du montant de la vente de leur butin. Ce phénomène, jamais vu auparavant, change quelque peu le rapport de force entre les creuseurs et les autorités. Le quartier de Kasulo se transforme en gruyère et les autorités de la Commune et de la Province ont sommé les creuseurs de cesser leur activité. Or, les parcelles ayant été achetées légalement au cadastre local, donne le droit à leur propriétaire d'en faire ce qu'ils veulent puisqu'ils sont chez eux.
On assiste là à un conflit entre le droit foncier et la constitution congolaise qui dit que le sol et le sous-sol appartiennent au pays, et le vide juridique inhérent à cette absence de législation. Personne n'a vraiment l'intention de quitter les lieux tant qu'il reste une once de cuivre ou de cobalt. Une nouvelle classe de riches propriétaires est en train de voir le jour, roulant dans des 4 X 4 rutilantes. L'insécurité y est grande car les maisons s'écroulent, on assiste à de nombreux éboulements et les routes se dégradent. L'augmentation de la criminalité y est aussi phénoménale. Vols, insécurité, menaces, armes à feu, prostitution... Il ne fait plus bon vivre à Kasulo. Fin décembre 2014, 15 creuseurs y ont trouvé la mort, brûlés vifs, dans une galerie construite artisanalement.
Teddy, creuseur d'or
Ecouter le témoignage ↘
Femmes et mine ne font pas bon ménage
Les femmes, elles, sont cantonnées à des tâches bien précises et harassantes : laveuses de minerais, casseuses de pierre, transporteuses. Elles fournissent aussi les « services » utiles autour de la mine, comme la restauration, le débit de boissons et la prostitution. Tâches qui ne leur donnent pas le droit de bénéficier directement des revenus de la mine.
De plus, les femmes sont souvent victimes de croyances négatives qui les empêchent d’exercer le même type de travail que les hommes. Solo, creuseur dans une carrière où on pratique le fétichisme nous raconte : « Les femmes portent malheur dans les mines, elles sont accusées d’assécher le sol et de rendre stérile la terre. Nous pratiquons des cérémonies qui nous protègent de la mort dans la galerie dans laquelle nous travaillons mais elles sont interdites aux femmes.»
Les femmes qui gravitent autour des sites miniers sont soit très jeunes, soit très souvent divorcées ou veuves. La situation d’extrême précarité dans laquelle elles se trouvent, à cause de ce statut au sein de la société congolaise, les obligent bien souvent à se re-marier. Un rapport de la CSI (4) dénonce cette forme d’alliance temporaire qui oblige une femme à offrir ses services sexuels et à s’occuper de l’alimentation en échange des revenus miniers de l’homme.
(4) Confédération syndicale internationale (CSI), « Violence en RDC », novembre 2011: www.ituc-csi.org/IMG/pdf/ituc_violence_rdc_fr_lr.pdf
Ecouter le témoignage ↘
Souvent victimes de violences, les femmes s’organisent pour sortir de la mine, revendiquer leurs droits et réclamer un salaire décent pour le travail qu’elles fournissent sur les sites miniers. Solange, restauratrice sur le site de Mutshanga nous explique : « Nous avons l’espoir d’avoir une vie meilleure et nous regroupant en association et en apprenant à défendre nos droits. J’aimerais avoir une vie différente et pouvoir faire grandir mes enfants en dehors de la mine ».
Ecouter le témoignage ↘
Crédits / Contacts
Coproduction : Solidarité Socialiste et Atelier Graphoui, avec l’appui financier de la DGD (Direction Générale coopération au Développement)
Réalisation et interviews : Géraldine Georges
Photographies : Johanna de Tessières
Montage son : Cyril Mossé
Web et infographie : Pierre de Bellefroid
Traductions et sous-titrage : Wendy Bashi
Partenaires au Katanga : Le CENADEP (Centre National d’Appui au Développement et à la Participation Populaire), Danny Singoma.
Appuis précieux : Sylvie Demeester, Jean-Baptiste Lubamba, Malu Fred, Chris Gelengi , Aurore Schreiber, Pascale Bodinaux, Renaud Hoyois, Régis De Rath, Benoît Horemans, Ellen Meiresonne.
"Il s'appelait Solo, il était creuseur artisanal à Kolwezi depuis l'âge de 18 ans. Il rêvait de construire une grande maison pour vivre avec ses nombreux futurs enfants. Il est mort quelques semaines après notre rencontre, des conséquences des mauvaises conditions de travail qu'il espérait un jour changer, pour lui et pour tous les autres creuseurs. Rest in peace Solo, ta mort passera sans doute inaperçue chez toi, elle prend d'autant plus de sens pour nous. Nous te dédions ce reportage."
Agir
Contact : Aurore Schreiber, aschreiber@solsoc.be, +32 (0)2 505 40 83
Partagez le web-documentaire autour de vous : par mail, via facebook, twitter, ou sur votre site web.
Organisez un évènement autour de l’exposition des photos qui accompagnent le web-reportage.
Téléchargez le dossier de présentation sur le site de Solidarité Socialiste.
Mobilisons-nous ensemble pour interpeller les décideurs politiques sur le rôle de la coopération belge et européenne en Afrique Centrale.
Contact : Sylvie Demeester, sdemeester@solsoc.be, +32 (0)2 505 40 78
Soutenez les actions des partenaires de Solidarité Socialiste en République démocratique du Congo :
Compte IBAN BE42-0000-0000-5454 (en mentionnant en communication « Soutien Creuseurs du Katanga »)